08/11/2011

Le fils du Minotaure


Je ne suis jamais sorti au-delà des murs qui m’ont vu naître. Et pourtant j’ai au bout de ma langue le goût épicé de toutes le contrées du monde mieux que quiconque et des souvenirs entassés dans mon crâne plus nombreux que n’importe quel voyageur.  Je suis le plus vieil habitant de la prison mais ce nom résonne pour moi comme maison. La rime créé le lien, une union charnelle, chaude, réconfortante, incestueuse. Prison, geôle, cellule, cachot, ombre, ergastule, piège, trou, mitard, taule, cabane, gnouf, bagne ! Quels mots sensuels et excitants.

Selon mon appréciation, pas celui de mes camarades, cela va sans dire.

Je suis né entre ces quatre murs et mon univers vaut bien le leur. Ils n’arrêtent pas de pleurer la perte de leur monde, je les comprends, mais ils ne me donnent pas pour autant l’envie de découvrir leur paradis. Je suis né dans cette prison et j’ai mes privilèges qu’ils ne possèdent pas. J’ai menti tout à l’heure (mais mes compagnons de jeu ont toujours été de l’espèce qu’on enferme, pas de celle qu’on écoute, qui ment plutôt qu’elle ne dit la vérité, et c’est cette engeance qui a fait mon éducation). Je connais plus que quatre murs, plus qu’une simple cellule. Je suis un privilégié en ce château croupi, plus que celui qui se fait appeler gardien, plus que tous ses semblables, plus que leur chef, le capitaine ou le gouverneur, le seigneur ou le prince, le roi ou l’empereur. J’ai mes accès partout et nulle ombre ne m’est inconnue. Tous les condamnés me reconnaissent et aucun de leur visage ne m’est inconnu. C’est mon monde et je le parcours comme bon me semble. Je suis le souverain, avec droit de vie et de mort sur mes sujets. Même la Mort, je ne la crains pas car je suis Légion.

Le rat vous dégoûte, moi je vous méprise.

Je suis aussi libre dans un pénitencier qu’un homme en sa cité. Ma maison est d’arrêt car à chacune de ses limites, une paroi infranchissable marque la fin du monde. Mais la Terre est un piège qui laisse croire à l’infini alors qu’il ne permet que de tourner en rond. La condition humaine n’est en rien enviable à celle du rongeur que je suis. L’homme est plus lâche que je ne le suis. La plupart du temps, quand un seul prisonnier me fait face dans sa cellule, alors qu’il fait cent fois mon poids et plus de dix fois ma taille, il a plus de chance d’avoir peur de ma personne que moi de lui. Je suis ici chez moi et même s’il doit y croupir le restant de ses jours, lui, il n’y sera jamais qu’un « invité ». Les nuits, encore plus que le jour, sont miennes. J’attends avec impatience les ténèbres imparfaites afin de profiter charnellement de mes sujets préférés. Je me délecte de leurs chairs et de leur sang. Je leur fais peur, ils en perdent le sommeil. J’ai entendu parler des monstres qui peuplent leur imaginaire. Je devrais en faire partie.

Vous me méprisez, moi vous me dégoûtez.

Au début, un homme se veut Homme, au-delà de toute condition animale, digne et bien habillé de sa civilisation. Il est le maître. Même celui qui chute reste fier. Enfermé, il se paie encore le luxe de la colère et de la haine, péché d’orgueil. Fier, car ce sont d’autres humains qui lui ont imposé cet état humiliant. En colère, car même les hommes n’arrivent pas égaler l’orgueil de certains de leurs semblables. Mais le temps passant, même l’orgueil finit par se fissurer plus rapidement que n’importe quel mur. L’homme finira bête grosse de taille et maigre de graisse et un jour, moi qui n’ai cure de la liberté parce que les fers et les chaînes m’indiffèrent, ferait tripaille de cette carne dure et bornée, si faible pourtant.

Survie, vie, dignité…

Je ne saurais trop dire si le crâne sourit ou grimace mais il ne restera à la fin que cet ultime visage minéral.

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